Le dirty talk, ça vous cause ?

Mise en lien des partenaires, évocation du consentement, échange intellectuel stimulant, mais aussi rapport au verbe... Le parler cru va bien au-delà du simple sujet journalistique qui émoustille. Prudes et innocents s'abstenir.

C'est sextra
7 min ⋅ 27/11/2022

Le dirty talk, ce sont des phrases potentiellement excitantes prononcées durant un rapport sexuel. Si vous n'êtes pas pratiquants, vous en avez peut-être entendu dans des films X, des trucs du genre :

Lui : T'aimes ça, hein, ma salope.

Elle : Oh oui, oh oui, je suis ta petite salope.

Lui : Tu l'aimes, hein, ma grosse etc.

(Existe aussi en version Elle//Lui//Elle et bien sûr Lui//Lui//Lui, Elle//Elle//Elle.)

Parmi les objets du sexe à déconstruire, le dirty talk tient une place particulière. D'abord parce qu'il est ici question de l'usage des mots. Pour paraphraser un personnage célèbre : Nobody fucks with the words. C'est pas parce qu'on parle de cul qu'on doit se sentir autorisé à dériver dans des propos caricaturaux (cf. l'exemple ci-dessus).

Et puis quand on passe en mode chaud-le lapin-chaud, échanger des mots, fussent-ils crus, reste un acte de communication. Avant de se demander quelles vertus peut avoir le dirty talk, voyons plus précisément les contours de notre sujet.

Patrick dans la cabine, grognant à perdre haleine

Et d'abord, une anecdote. A l'époque où j'étais en poste au journal Libération, j'avais un collègue (appelons-le Patrick) qui avait travaillé pour des productions de films pornographiques en post-synchronisation au début de sa vie d'adulte. En studio, devant un micro, le film X diffusé sur un écran, Patrick devait grogner au bon moment, aboyer des noms d'oiseaux et des marqueurs verbaux de mâle dominant. Vous imaginez la scène ? Vous imaginez Patrick et sa collègue dans une cabine insonorisée puant le tabac froid, en train de jouer des cordes vocales devant un X pourri où le type ne bande pas et où la femme regarde hors champ en attendant la pause clope ? Tout ça pour gagner trois ronds !

La dramatique n'est pas le fort des films X, le verbe encore moins.. Photo : DRLa dramatique n'est pas le fort des films X, le verbe encore moins.. Photo : DR

Découvrir l'envers du décor m'a permis de comprendre une chose sur le dirty talk : la pauvreté linguistique des scènes de X n'était pas inhérente à l'acte lui-même ; elle était étroitement en lien avec l'absence de créativité des studios de production. La plupart des réalisateurs de porno, à l'époque comme aujourd'hui, se fichent pas mal des mots qu'échangent les performers. La dramatique n'est pas leur fort, le verbe encore moins. Pourtant, les films pornographiques pourraient user de la parole comme d'un élément narratif essentiel, permettant de faire monter la sauce (ayé, je vrille...). Mais ça demanderait une écriture. Et ça, ça coûte cher...

Le cas Killian//Hassan//Jean-Michel

Selon une étude réalisée par Online Doctors sur un échantillon de 990 adultes, quelque 45% des hommes interrogés pratiquant ou ayant pratiqué le dirty talk (contre 25% des femmes) disent s'inspirer du porno dans leur propos. Silence ! Ça tourne ! Action !

Une chambre sous les combles, des bisous, des câlins, ça devient chaud. Quand soudain...

Lui : Déshabille-toi, tu vas voir ce que tu vas prendre.

Elle : Mais enfin Killian//Hassan//Jean-Michel, on n'est pas sur Pornhub, là.

Une minute huit secondes plus tard, elle claque la porte en se félicitant d'avoir planté ce pervers sa mère !

Pervers, en l’occurrence, n'est pas le mot juste. Killian//Hassan//Jean-Michel a été maladroit, idiot, influençable. Il n'a pas réfléchi à ce qu'il faisait en dirty talkant. Il s'est tellement paluché en regardant des bourrins du porno trash qu'il a pris des vessies pour des lanternes (si vous me permettez l'expression).

Quand Killian//Hassan//Jean-Michel joue au foot, le dimanche, avec ses potes de fac, il sait qu'il n'est pas MBappé ; il y aura toujours un de ses potes pour le vanner et lui mettre la misère s'il se prennait pour un dieu du stade. Et quand il fait l'aller-retour en bagnole pour aller voir ses parents, il sait qu'il n'est pas Bullit ; s'il se fait toper sur l'autoroute au-delà des limites de vitesse, c'est son permis qui saute. Mais rien n'arrête Killian//Hassan//Jean-Michel quand il se prend pour Rocco Siffredi. Quand il entend sa partenaire affirmer qu'elle ne veut pas être traitée de noms substantifs à suffixe en -asse, pour lui ça fait partie du jeu. Ben oué : les femmes adorent qu'on leur parle "mal", c'est bien connu.

PRÉCISIONS : Les femmes n'adorent pas qu'on leur parle - certaines aiment les noms d'oiseaux, d'autres pas, d'autres parfois, d'autres ont aimé et n'aiment plus. Etc. D'ailleurs, tant qu'on y est, "les femmes adorent ceci ou cela", c'est un truc de publicitaires et de religieux. Donc, si tu veux bien, KHJ-M, laisse tomber ce genre de généralités, OK ?

Parle-moi meilleur, j'te dis, Jean-Michel. Photo : Zdenek Machacek/UnsplashParle-moi meilleur, j'te dis, Jean-Michel. Photo : Zdenek Machacek/Unsplash

Heureusement, il y a toutes sortes de Killian//Hassan//Jean-Michel. Certains - j'en connais - comprennent très bien que les films X, aussi excitants soient-ils, ne sont pas à reproduire chez eux.

Le langage est un vecteur. Au lit comme ailleurs, s'exprimer verbalement implique de prendre en compte qu'on n'est pas seul, que notre partenaire reçoit notre propos, avec son humeur, sa sensibilité. Parler pendant le sexe, ça se tente. Pour ne pas être un sagouin ni même une sagouine, le mieux est encore d'y mettre les formes. De demander à l'autre si c'est une option possible. Ou d'y aller à petits pas.

Plus de 9 personnes sur 10 se disent excitées par les mots de leur partenaire. Photo : Wei Ding/UnsplashPlus de 9 personnes sur 10 se disent excitées par les mots de leur partenaire. Photo : Wei Ding/Unsplash

In vivo mais mollo

Une bonne idée pour démarrer serait d'éviter les propositions hyper explicites et les noms d'oiseaux hardcore. Vous pourriez envisager une simple question, limite polie : "Ça te plaît ce que je te fais ?" Si vous voyez que ça prend, progressez doucement. Et - très important - parlez après l'acte ! Avec, là encore, des questions simples, limites polies : "Ça t'a gêné que je te demande ceci à tel moment..."

Parler durant le sexe (on le voit particulièrement dans l'exemple précédent) assure un lien entre les bien-être des partenaires. Mettre en place la possibilité d'une parole, c'est s'assurer qu'outre le jeu, on sera en mesure de se dire "j'ai mal", "est-ce qu'on ferait une pause ?", "non, je n'ai pas envie de telle pratique" - important, ça.

Les disjoncteurs de désir

Et que ne faut-il surtout pas faire en matière de dirty talk ? Le "mauvais" surnom est un disjoncteur de désir radical, si l'on en croit l'étude de Online Doctors, qui place cette dirty talkerie à la première place des turn off. Si vous tripez à l'idée d'appeler votre partenaire Maîtresse ou Daddy, il est indispensable de l'évoquer en amont.

Autre effet réfrigérant assuré : le fait de signifier des envies, disons, inhabituelles. Si vous rêvez de caresses avec des chaussettes sales ou ce genre de choses, là aussi je vous encourage à prendre votre courage et votre syntaxe et à vous poser pour l'évoquer - ceci même si vous avez l'impression que votre partenaire est open.

Le dirty talk se décline selon les rencontres. De la simple mise en lien verbal aux jeux de rôles, il y a une multitude d'univers possibles qui dépendent du rapport de chacun au fait de s'exprimer verbalement autour de l'intime. Egalement du goût au ludique durant le sexe. De l'envie de parler avec le partenaire du moment. Il n'a bien sûr aucun caractère obligatoire : nombre de personnes n'éprouvent aucun besoin de mettre des mots durant l'acte sexuel. D'ailleurs, pour 44% des répondants à l'étude citée, ce sont les gémissements qui sont les productions sonores les plus excitantes durant le rapport.

Et vous quels rapports entretenez-vous avec le dirty talk ? Dites-moi tout !

Je vous embrasse.

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Crédits - Header : Mariola Grobelska/Unsplash.
Photo de profil : Hélène Muffarotto // La photo d'ampoules est de Jenn/Unsplash

C'est sextra

Par Stéphanie Estournet

Journaliste (ex-”Libération”), formée en sexothérapie, je suis particulièrement sensible à l’exercice des rapports de domination. Voilà pourquoi j’écris sur les sexualités, la représentation des corps, le rapport au “care” et les nouvelles technologies.

Je suis convaincue qu’informer (sur la pornographie, la sexualité, les genres, l’usage des écrans et de l’IA, les rapports bien-traitants au travail et dans les soins, etc.) nous permet d’aborder plus sereinement le monde complexe dans lequel nous vivons.

Fun facts sur ma personne :

  • en parallèle de mes études de sémiologie et lettres modernes, j’ai écrit des épisodes de Un gars, une fille, des questions pour Qui veut gagner des millions?, de fausses lettres pornographiques pour des magazines spécialisés ;

  • j’évite de sortir sans un vêtement ou un accessoire brillant (le glitter, c’est la vie) ;

  • j’ai écrit la première - et unique à ce jour - porno-comédie audio, Plus sexe la vie ;

  • j’ai tenu la rubrique mensuelle “Tour X” dans Le Journal du hard (Canal+) ;

  • je cours régulièrement, mais pas très vite.

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