Une récente étude nous renseigne sur le lien entre consommation de porno trash et pratiques non respectueuses. Et en cascade, sur les obsessions des plus jeunes.
“Combien doit-‘elle’ mesurer si je veux avoir l’air d’un vrai mec ?” Telle est - reformulée - la question la plus posée chez les garçons de niveau quatrième et troisième (entre 13 ans et 16 ans) lors d’ateliers sur la sexualité.
A l’âge où la première expérience est souhaitée autant que redoutée, les ados mecs sont en boucle sur la taille de leur sexe en érection. Ils pourraient se demander comment faire plaisir à leurs conquêtes. Ou ce que ça fait de se sentir nus l’un contre l’autre. Ou encore, justement, comment on fait pour se mettre nu devant l’autre sans se sentir mal à l’aise. Au lieu de quoi ils pensent à la dimension de leur “zguègue” - je cite.Alors pourquoi une telle obsession ?
Pour envisager des éléments de réponses à cette question, je vous propose un détour sur le terrain des adultes. A l’occasion d’une étude Ifop/Mon Petit VPN, quelque 3000 personnes ont répondu à des questions qui mettent en lien leur consommation de porno et leurs pratiques ainsi que leurs représentations des genres. De quoi tirer quelques enseignements.
Mais au préalable, afin qu’on se comprenne bien, permettez-moi un point “explication de texte et méthodologie”.
Le rapport de l’étude ne précise pas de quel type de pornographie on parle. Conséquemment, on entend qu’il s’agit d’une pornographie mainstream, diffusée sur des sites gratuits (je ne vous fais pas un dessin), hétérosexuelle, réalisée selon des codes et des scripts objectivant la femme pour le plaisir de l’homme. Le fait de ne pas préciser ces derniers points montre à quel point aujourd’hui la pornographie est synonyme de représentation hétéro avec un mâle dominant, une trinité fellation-pénétration-éjaculation, le tout dans un climat de violence. NB : une autre pornographie existe, avec des corps variés, des pratiques respectueuses sur les tournages et à l’écran, des choix artistiques - qui, elle aussi, doit être réservée aux adultes.
L’étude, réalisée selon la méthode des quotas (soit une répartition des interviewé.e.s reflétant la population française en terme de sexes, âges, territoires, confessions religieuses et catégories socio-professionnelles), a été conduite “en ligne par questionnaire auto-administré”. Si le principe des sondages est le déclaratif des répondants, l’association de sujets sulfureux et intimes (le sexe + le porno) à une méthode peu encadrée peut avoir un impact délétère sur les résultats.
Plus on en regarde, plus on se le fourre dans l’œil
Revenons à notre étude. Parmi les interviewé.e.s, 27% envisagent que les “femmes préfèrent les hommes avec un gros pénis”. Maintenant, zoomons : parmi les personnes qui regardent du X trash au moins une fois par semaine, ils et elles sont 44% à croire qu’un gros pénis est essentiel (contre 29% chez celles et ceux qui regardent parfois du porno en ligne).
Ben oui, les performers porno sont généralement recrutés sur la taille de leur sexe. Dans une société où la pornographie trash est 99 fois sur 100 le seul référant en matière de sexe, les corps montrés dans ces films deviennent des références. Avoir un gros sexe pour les hommes, en érection parfaite et continue. Pour les femmes : être jeunes, sans poils (éventuellement tolérés s’ils sont domptés). D’autres injonctions sont à prévoir selon les modes, les hashtags, les plateformes.
Toujours selon l’Ifop, 66% de celles et ceux qui disent avoir vu du porno en ligne pour la première fois avant 11 ans se disent convaincus de l’importance de la taille du pénis (contre 34% chez celles et ceux qui ont vu du porno en ligne pour la première fois après 15 ans). Autrement dit, plus on a vu du porno trash jeune, plus on envisage la sexualité telle qu’elle nous est montrée dans ces scènes.
Toute l’étude va dans ce sens : les consommateurs réguliers de X et/ou dont le premier visionnage s’est effectué avant 11 ans sont aussi ceux qui sont le plus représentés parmi les hommes ayant eu des pratiques avec des femmes qui leur avaient clairement indiqué “qu’elles ne le souhaitaient pas” (aka : viol). A noter : 47% des femmes de moins de 30 ans ont pratiqué leur première sodomie “alors qu’elles ne le souhaitaient pas” (aka : viol - j’insiste, oui).
Donner sa place à l’éducation sexuelle
Dit autrement, le X trash est dangereux pour les mineurs, pour leur vie sexuelle et affective présente et à venir. Il leur transmet des représentations dégradantes pour la femme mais aussi pour l’homme qui leur servent de modèles autour desquels ils vont se construire. On a parlé de la taille des “zguègues” ; un autre marqueur du porno trash sur la vie intime de nos mômes est le phénomène labiaplastie, cette opération des grandes lèvres devenue très populaire il y a une dizaine d’années, particulièrement chez les plus jeunes - un article du New York Times évoque ainsi une augmentation des interventions à + 80% entre 2014 et 2015.
Il en va de même dans les pratiques. Les garçons envisagent qu’il n’y a pas de rapport sans sodomie. Les filles acceptent une éjaculation faciale quand la seule idée les dégoûte.
La lumière mise, ces derniers temps, sur la dangerosité du porno pour les plus jeunes a le mérite d’éclairer en creux la voie à prendre - à savoir : l’éducation à la sexualité.
Nous devrions pouvoir répondre aux questions de nos ados.
Nous devrions pouvoir leur apprendre depuis la prime enfance à nommer les différentes parties de leur corps y compris les parties intimes - et non à faire comme si elles n’existaient pas.
Nous devrions pouvoir déconstruire avec eux les représentations pornographiques qui s’appuient sur des corps clichés, sur une domination de la femme, sur le plaisir de l’homme (qui devrait être comme ci et surtout pas comme ça).
Nous devrions pouvoir leur parler de diversité.
Nous devrions pouvoir leur rendre le droit à leur propre plaisir tout en leur transmettant les valeurs et pratiques non négociables que sont le respect de l’autre, le consentement.
Nous devrions être en mesure de les sortir des clichés de performance pour qu’ils et elles soient en mesure d’aller vers ce qui leur convient - à tous les âges de leur vie. Soit : donner à nos mômes les moyens d’être des individus responsables et heureux sur le terrain de la sexualité.
Il y a des moyens de parler de sexualité aux enfants, aux adolescents, aux jeunes adultes. De leur donner les informations dont ils ont besoin. Leur curiosité est immense, et c’est bien légitime. Ne mettons plus ce sujet sous le tapis. Faisons appel à des professionnels au sein des établissements scolaires. Abonnons-nous à des comptes sur les réseaux tenus par des professionnels. Lisons ou donnons à lire. A suivre, dans une prochaine newsletter, mes recommandations sur ce sujet.
Merci pour votre lecture.
Sources : étude Ifoppour MonPetitVPN réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 15 au 18 septembre 2023 auprès d’un échantillon de 3 014 personnes,représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
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