A Berlin, Vienne, Athènes ou Paris, des festivals mettent en avant la vitalité d'une production p°rn° alternative respectueuse et inclusive. Mais concrètement, que se passe-t-il dans ces festivals ? Qu'y et qui voit-on ? Sont-ce des endroits pour vous et moi ? J'ai posé mes questions à des organisateurices.


Des films pour adultes, tout le monde en regarde ou presque. Vous pouvez probablement nommer trois sites ou producteurs célèbres en moins d’une minute (faites le test :-). Et si toutefois vous n’en connaissiez pas, il suffit de taper ce que vous souhaitez voir (pratiques, type de corps, etc.) pour que des milliers de propositions affluent.
(C’est bien là le problème, mais bref.)
Plutôt Gremlins ou “Garces en chaleur” ?
Certains d’entre vous ont peut-être connu les cassettes VHS ainsi que les locations chez le détaillant du coin. Entre un Ghostbusters et un Gremlins, on infiltrait un “Garces en chaleur” en prenant un air détaché face au type qui se contentait invariablement de vous rappeler le surcoût qu’occasionnerait un retard dans le rendu des œuvres empruntées.
Autre option jadis envisageable pour regarder du p°rn° : les salles. Pour vous la faire courte, dans la continuité de Mai 68, une folle tolérance a rendu possible la diffusion dans des salles lambda de films “olé-olé” (comme disait mon grand-père) - citons ici Emmanuelle (1974), de Just Jaekin, qu’on a pu voir entre potes dans des salles des Champs-Élysées (maintenant on va plutôt chez Vuitton, mais bon).
La société de consommation a fané le flower power. Lourdement taxé par une censure qui taisait son nom, le p°rn° est sorti du devant de la scène pour se réfugier dans des espaces spécialisés pas toujours reluisants (salles spécialisées, se+-shop). A noter, d’ailleurs, que la dernière salle parisienne “authentique”, le Beverley, a fermé en 2019.
Le p°rn° est à l’image de la société qui le consomme. Désormais numérique, cette société vit de grands changements sur les thématiques de l’intime. Voilà pourquoi, en parallèle des “films” mainstream se développe une production alternative dont la vitalité est visible dans les p°rn film festival (PFF).
Oui, des festivals qui diffusent des films de bouboules. Dingue, nan ? Alors à votre avis, à quoi ça ressemble, un PFF ? Un club d’obsédés qui se fouettent en bouffant du pop corn ? Des illuminés à poil avec des têtes de Mickey ? Des cinéphiles qui s’emboîtent en se murmurant des trucs comme “Elle va cracher, ma vieille frangine !” , “Vas-y, fais-moi plaisir” ou encore “Rosebud” (1) ?
Je vous propose de passer derrière la porte verte histoire de tordre le cou à quelques clichés. On y va ?
Bad Witch, avec Julia Roca et Kali Sudhra (AltShift), présenté au BXLPFF2025.
Bien logiquement, en parallèle de toutes les horreurs diffusées sur les sites de streaming (options : raciste, grossophobe, bourrin, âgiste, etc.), des réalisateurs et réalisatrices développent un cinéma pour adultes qui leur ressemble. Je ne parle pas ici de camgirls ou de camboys mais bien de création d’images avec l’intention de raconter quelque chose qui a à voir avec l’intime dans une esthétique réfléchie.
Ce p*rn* alternatif permet l’émergence de toutes sortes d’images, de fantasmes, de corps. Mais aussi des traitements qui vont de la farce à l’horreur en passant par la comédie musicale, la romance ou la S.-F. Certains sont franchement explicites ; d’autres seraient probablement à peine envisagés comme des films érotiques à l’heure d’aujourd’hui (comme dirait mon Tonton Jean-Michel). The Love Witch (2016), de Anna Biller, joue dans cette dernière catégorie avec une esthétique très travaillée, et un message féministe fun (la femme tout en pouvoir avec sa libido). F**k First (2016), de Sticky Biscuits, est un clip tout mimi qui délivre un conseil pas idiot pour passer une bonne saint Valentin.
3615JACKPOT de Lucien Vegas et Mimi la Terreur, présenté au BXLPFF2025.
Considéré comme une production honteuse (le genre qu’on consomme en secret, vite fait - durée moyenne de visualisation sur PHub en France : 10 minutes), le p*rn* est plutôt abonné aux rubriques justice/faits divers des médias qu’à la rubrique culture.
Un festival crée l’événement, il assure une visibilité populaire, artistique à son programme. Dans un univers virtuel, il ancre dans le réel. Voila pourquoi les créateurices de p°rn° alternatif se retrouvent lors de PFF sous la bannière d’une diversité formelle et thématique.
Parmi les ambitions partagées par les PFF (depuis celui de Berlin, créé en 2006 à Valparaiso et Santiago du Chili, San Francisco en passant par Rome, Paris ou Athènes), deux reviennent chez tous les organisateurices :
montrer les s°xu°lités dans leur pluralité et leurs nuances de manière créative ;
amener paroles et questionnements sur les s°xu°lités, la diversité des genres, et les injonctions que nous vivons dans nos espaces intimes.
Un angle essentiel des PFF : l’aspect éducationnel.
“Créer du dialogue, public et privé, est l’un des objectifs du festival”, m’a expliqué Thomas, cocréateur du PFF de Bruxelles, dont l’opus 2025 s’est tenu du 25 avril au 4 mai, et se poursuit jusqu’au 18 mai en streaming.” “Il y a beaucoup d’échanges entre les participants, renchérit Aura, à la tête de P°rn sur Mars, dont la troisième édition se déroulera du 4 au 8 juin à Marseille. On est souvent entre un côté très festif et des débats d’idées ou des partages d’expérience.”
Autre angle essentiel : l’aspect éducationnel. “A P°rn sur Mars, on milite pour l’éducation s*ksuelle. Nos corps sont soumis à de très nombreuses contraintes. Pour autant, nous revendiquons le plaisir - dans le consentement - comme un droit.” Thomas abonde : “Tous les corps ont le droit de vivre pleinement. Ça paraît bête, dit comme ça, et tellement évident. Mais ça ne l’est pas. Les violences sexuelles sont toujours là. Et par exemple, les personnes victimes de handicap doivent encore se battre pour le droit à leur s*ksualité.”
Vous reprendrez bien un peu de volupté…
Les formes des PFF varient d’une ville à l’autre, et selon les organisateurices. Mais globalement, on peut dire ceci :
les PFF se tiennent dans des villes - ben oui, difficile d’envisager une projection de films explicites dans une salle des fêtes de village ;
on les trouve dans des tiers-lieux, également dans des salles de cinéma d’art et d’essai louées pour l’occasion ;
la plupart ont lieu au printemps jusqu’au début de l’été ;
outre une programmation de longs et de courts métrages, on peut y assister à des tables rondes, voire à des workshops (création d’un film p*rn* en petit comité, par exemple), expos et soirées avec DJ sets.
Si votre objectif est la pratique s*ksuelle, vous pourriez être déçue (2). Certains festivals proposent des backrooms où on se mélange si on le souhaite, mais ce genre d’activité reste marginal. Et les projections et moments d’échange sont safe. “A ma connaissance, il n’y a pas d’attouchement dans le cadre du festival, souligne Thomas. On est dans un endroit public, les gens viennent pour voir des films. Les séances sont pleines, et notre proposition ne va pas vers des films très ‘masturbatoires’, mais plutôt politiques.” Preuve qu’on est davantage dans l’éducationnel que dans l’orgiaque, une psychologue circule entre les séances du BXL PFF pour recevoir les spectateurices qui en éprouveraient le besoin. “L’ambiance peut être excitante, reconnaît Thomas, mais il y a aussi un côté joyeux, chaleureux, ainsi que des moments bouleversants.”
Sur un tournage (allégorie).
Pour boucler la boucle, certaines parmi vous se souviennent sûrement de l’image qu’avaient les supposés clients des salles spécialisées, et qu’on pourrait résumer par “vieux dégueulasses” : des hommes cis, blancs de plus de 50 ans, d’apparence sale. Le temps a passé, les mœurs ont changé : grâce à l’approche alternative, la p*rn*graphie sort de la honte. Elle ne s’accompagne plus de vieux kleenex ou de sièges en skaï poisseux. “Notre public a clairement connaissance du p°rn° alter, se réjouit Thomas. Pour autant, il est bien plus large et varié que ce qu’on croit : plus de 60 % de femmes ; et si on a une majorité de 20-30 ans, on a vu arrivé l’an dernier des plus de 60 ans.”
Non seulement inclusif, le p°rn° pourrait être transgénérationnel et donc anti-âgiste…?
Et pourquoi pas ?
(1) Scarface, de Brian De Palma ; Le Retour de l’inspecteur Harry, de Clint Eastwood ; Citizen Kane, de Orson Welles.
(2) On peut choisir que le féminin l’emporte :-)
Vous trouverez des films alternatifs de qualité sur cette plateforme.
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