C'est sextra

Le sexe, tout le monde en veut, mais personne ne veut s'y coller quand il faut y penser. Alors ? On en cause ?

image_author_Stéphanie_Estournet
Par Stéphanie Estournet
29 mai · 3 mn à lire
Partager cet article :

Et si on parlait de nos poils, de libido et de politique ?

"Sex Talk" est sorti le 4 avril : une discussion entre Olympe de Gê et moi-même sur ces sujets éminemment politiques que sont notre désir en tant que femme, notre corps en tant que sujet plutôt qu'objet, etc. A l'occasion de la promo de "Sex Talk", retour sur les réactions du public. Et sur l'évolution de nos propres interrogations.

Le 4 avril, à la librairie Folies d'encre, aux Lilas (Seine-Saint-Denis). Le 4 avril, à la librairie Folies d'encre, aux Lilas (Seine-Saint-Denis).

Après une publication dans le monde anglo-saxon, Sex Talk, que j’ai coécrit avec la militante féministe Olympe de Gê, est enfin sorti en français. Notre formidable éditeur parisien, L’Iconoclaste, a pris le temps de retravailler le texte avec nous, de bosser la maquette, de dresser un plan de communication. Depuis le 4 avril, date de parution, nous voici donc, Olympe et moi-même, dans des trains sillonnant la France à la rencontre des lecteurs et lectrices, des libraires, etc.

Le moins que l’on puisse dire, c’est l’intérêt des personnes que nous rencontrons sur les questions de l’intime, de la sexualité, de la vie affective. Les lecteurs et lectrices nous montrent enthousiasme et intérêt, et partagent des questions ultra-pertinentes qui souvent font réagir d’autres personnes du public.

C’est très agréable de voir les gens discuter entre eux à partir d’une proposition que vous leur avez faite ; ça donne l’impression que votre initiative n’était pas une simple vue de l’esprit. Et, croyez-moi, quand on a écrit neuf mois durant dans son bureau, avec pour compagnons un fond d’écran Bruce Lee, des photographies des siens et diverses babioles made in China qui s’agitent au soleil, ça fait carrément du bien !

Page extraite de "Sex Talk" en anglais, édition Hardie Grant. Photo DRPage extraite de "Sex Talk" en anglais, édition Hardie Grant. Photo DR

Au-delà des apparences

On nous demande souvent si Sex Talk est un ouvrage écrit pour les femmes* (la couverture est dans des teintes rose fluo, et - construction de genre - le rose “c’est pour les filles”). Difficile de répondre non quand on évoque au fil des pages la difficulté de vivre avec ses règles mois après mois, la placardisation des femmes de plus de 50 ans, les injonctions faites à nos corps par les magazines, les pubs, les films, etc.

Pour autant, c’est un homme qui le premier s’est présenté à nous au Festival du livre au Grand Palais éphémère, à Paris, le 13 avril. Quel âge pouvait-il avoir ? Pas plus de vingt ans, sûrement. Il avait vu le livre, il avait le sentiment de pouvoir y trouver des réponses à des questions qu’il se posait. Il avait le budget pour un seul achat sur le salon. Ce serait Sex Talk. Ouah ! (Pour un peu, je le lui aurais offert !)

Ecouter notre interview par l’excellente Madame Meuf (aka Hélène Vézier)

Olympe et moi-même avons écrit Sex Talk comme une conversation. On y échange nos constats, nos moments de découragement et nos victoires, nos trucs et astuces, nos espoirs et nos prises de conscience. In fine, on s’est rendu compte qu’échanger sur ces questions nous aidaient dans notre réflexion (sur nos désirs et notre libido en berne, nos poils et nos fantasmes, etc.) - et aussi à nous sentir mieux.

Mais ce livre est aussi l’occasion de dénoncer les injustices et les violences faites aux femmes dans la sphère privée (30% des Françaises ont été confrontées à la précarité menstruelle** ; 53000 femmes excisées vivent en France***, etc.). Et de rappeler que l’objectif du féminisme n’est autre que la mise en place effective de l’égalité entre hommes et femmes.

Les questions d'intime au féminin restent difficiles à aborder. Photo Red Star Rogue/FlickrLes questions d'intime au féminin restent difficiles à aborder. Photo Red Star Rogue/Flickr

Derrière le rideau

Si aujourd’hui des progrès sont notables dans les sphères publiques (monde du travail, du sport, des études, etc.), de nombreuses questions restent tabous dès lors qu’on entre dans la sphère privée. Ben oui : difficile pour une femme hétéro…

  • de dire à son mec “je ne veux plus d’épilation intégrale juste pour te faire plaisir” ou encore “tu me fais mal et je n’ai plus envie, on arrête ce rapport” ;

  • de ne pas vivre dans la crainte de n’être plus désirable en avançant en âge ;

  • de refuser un rapport pénétratif ;

  • de se vivre comme un sujet désirant sans honte (comme un mec, quoi !) ;

  • (ici, ajoutez vos propres difficultés en tant que femmes ou celles dont vous ont parlé vos sœurs, vos copines, vos mères).

Par ailleurs, on continue d’entendre qu’“une si belle robe avec ces touffes aux aisselles, c’est pas terrible”, que les filles musclées “c’est pas trop des filles” et que si on ne veut pas se faire emmerder dans la rue, on n’a qu’à pas “s’habiller pour faire envie”. Des propos qui disent entre les lignes, que si on ne s’y soumet pas, faudra pas s’étonner de se faire remettre dans le droit chemin.

Parler de l’intime, un engagement politique

Alors non, ce n’est pas la préhistoire et les avancées sont certaines et visibles sur les réseaux, dans les médias - et même dans nos vies ! Un exemple : quand j’étais lycéenne, aucune de mes copines n’auraient parlé de ses règles en dehors d’un cadre bien identifié de proches. Quant aux mecs, c’était sûrement pas leur affaire - “un truc de bonnes femmes”. Mes filles, 15 ans et 19 ans, parlent de leurs règles tout à fait librement - ce qui, par parenthèse, leur permet de se soutenir si besoin, d’avoir un mot gentil, un échange d’expérience.

Mais elles ont également compris qu’elles étaient potentiellement en danger quand elles rentrent seules - simplement parce qu’elles sont des filles. Je ne trouve pas ça normal. Voire : ça me révolte ! Sex Talk met le doigt sur ce type de discriminations et de violences pour que nous en déconstruisions ensemble les mécanismes. Pour qu’enfin nous les démantelions.

 Les "tradwives" prônent le retour de la femme au foyer au service de son mari et de sa famille. Photo DR Les "tradwives" prônent le retour de la femme au foyer au service de son mari et de sa famille. Photo DR

Moi au service de mon mari, sérieux ?

Je ne vous apprendrai rien, certainement, si je vous parle de la très grande popularité de l’extrême droite (32% pour le RN au 29 avril). Pour celles et ceux qu’un soutien à Bardella (RN) pourrait tenter, il faut rappeler que le vote ultraconservateur véhicule des idées comme les tradwives, cette tendance qui prône le retour de la femme au foyer au service de son mari et de sa famille. L’ex-porte parole de Génération identitaire Thais d'Escufon, soutien d’Eric Zemmour en 2022 et activiste anti-migrants condamnée en 2021, s’est d’ailleurs recyclée en soutien énervé des valeurs tradwife, assurant une caisse de résonance à un autre fléau, les incels - ou célibataires involontaires.

Pour vous dresser un portrait à gros traits de ces sinistres personnes, les incels sont des hommes qui envisagent leurs difficultés à entrer en relation avec des femmes comme la conséquence des revendications féministes. Selon ces hommes, les femmes devraient être à leur service, particulièrement en ce qui concerne le sexe. L’organisation indépendante Center for Countering Digital Hate qui lutte contre la désinformation en ligne estime qu’un appel au viol de femme est proféré toutes les demi-heure sur les forums accueillant des incels. Le terroriste d’extrême droite norvégien Anders Breivik, responsable des attentats d’Oslo en 2011 (77 morts et 320 blessés), écrivait d’ailleurs dans son manifeste : « Il faut parfois tuer des femmes, même si elles peuvent être très attirantes. » Quant aux tradwives, elles souhaitent, elles aussi, nous assigner une place selon notre genre, répondant en tous points, donc, aux revendications incels.

Ni Olympe, ni moi ne sommes affiliées à un parti ou une organisation politique. Mais il est certain qu’en prenant la parole sur les questions de féminisme au sein de la sphère privée, nous faisons de la politique. Nous rappelons que notre corps nous appartient, qu’il ne doit en aucun cas être instrumentalisé par des extrémistes - ou qui que ce soit d’autre.

Et nous vous invitons, via vos réactions à Sex Talk, votre soutien à nos différentes interventions, à prendre à votre tour la parole pour un monde plus juste.

C’est important.

*Lire aussi notre interview dans Scarlette Magazine

** Règles élémentaires

*** Arrêtons les violences

En achetant, Sex Talk, vous allez faire le plein de ressources sur les sexualités.
Vous verrez, ça fait un bien fou !

Si vous avez apprécié cette newsletter, n’hésitez pas à vous abonner (c’est gratuit),
à la partager et/ou à réagir sur les réseaux.

Linkedin // Twitter // Instagram
Header : Fred Dhennin / Flickr

Photo de profil : Hélène Muffarotto // La photo d'ampoules est de Jenn/Unsplash