L'éroticaudio, une success-story qui ne mâche pas ses mots

Face à des films porno montrés du doigt, l'audio-porn a trouvé sa place dans les listes des podcasteurs. Pourquoi ça marche ? Quelle est la formule qui permet à audio et libido de faire si bon ménage ? Analyse d'un phénomène feel good d'un genre un peu particulier.

C'est sextra
7 min ⋅ 15/11/2022

Vous le savez sûrement, je suis à la tête de ctrlX depuis le printemps 2017. Avec mon camarade Marc Pernet ainsi que de talentueuses comédiennes, créatrices son, musiciennes, etc., nous mettons en son des textes littéraires érotiques voire pornographiques publiés ou écrits avec nos doigts.

Pokemon, fille en rouge, emails

Rapidement après les débuts de ctrlX, il y eut des initiatives plus explicites : Colette se confesse, Le Son du désir, et le plus connu, VOXXX. La presse s'en est emparé et tous autant qu'on est dans ce petit milieu, on s'est mis à répondre à des interviews sur notre business model (euh...) et nos "figures inspirantes" (euuuhhh...). Il y avait une autre question qui revenait sur laquelle je me sentais légitime de disserter, c'était Pourquoi ça marche ?

Les réponses sont nombreuses, et je crois que pour être aussi claire que possible, le plus simple est de partir de "l'objet son". Vous écoutez probablement des podcasts, de la musique ou la radio ; vous mettez des écouteurs dans vos oreilles. Dans quelles conditions êtes-vous pour écouter ? Dans les transports ? En train de faire votre running ou la cuisine ou les courses ? Vous écoutez votre émissions préférée sur la nouvelle génération de Pokemon menée par trois pokegirls ? Ou bien vous avez téléchargé le dernier album de Girl in Red que vous chantonnez en répondant à vos emails et en jouant à ZombiesCrush sur votre mobile.

Direction : la plage

Laissez tout ça de côté : l'éroticaudio, c'est autre chose. Et je ne suis pas en train d'évoquer le côté sensuel ou sexuel de la chose mais bien l'expérience d'écoute. D'ailleurs, on pourrait déplacer le sujet sur un autre type de son susceptible de vous faire plaisir, par exemple, la mer. Ce type d'écoute demande à l'auditeur d'être présent, d'avoir laissé le multitâches pour "être à l'écoute" - du son, bien sûr, également du ressenti que le son procure. Si vous écoutez le flux et le reflux des vagues, peut-être vous sentirez-vous bientôt plus détendu ; vous pourriez avoir en tête des images de vacances, le souvenir du soleil sur votre peau, de la caresse du sable chaud, etc. Vous serez plongé tout entier dans une impression de bien-être grâce au job effectué par votre cerveau à partir du stimulus sonore.

Stimulé par le son, le cerveau crée des images sur mesure, au plus près de ce qui fait envie (merci le cerveau !). (Photo : Miguel Luis/Unsplash)Stimulé par le son, le cerveau crée des images sur mesure, au plus près de ce qui fait envie (merci le cerveau !). (Photo : Miguel Luis/Unsplash)

Ça fonctionne avec la mer ; ça fonctionne aussi avec les représentations des sexualités. La majorité des films pornographiques diffusés sur les tubes gratuits resserrent leurs images sur des actes de pénétration; et de fait, il n'y a de place pour rien d'autre. Si vous êtes plutôt du genre à triper sur des baisers profonds, des caresses du bout des doigts ou un lent déshabillage, il n'y a pas de place pour vous.

Le son, lui, crée le frisson. Le bruit d'une fermeture Eclair, un tissu froissé, un rire, quelques mots, un baiser mouillé ; votre cerveau crée des images, ce sont les vôtres, elles puisent dans ce qui vous plaît, ce qui vous fait du bien. Bientôt votre corps a la chair de poule. Vous ressentez ce que vous entendez.

La qualité, une donnée non négociable

Comme dans le domaine du film X, certains apprécieront davantage des scénarios élaborés, d'autres des histoires simples et sans surprises - affaire de goûts. Le son, lui, nous permet de créer un espace cérébral rien qu'à nous, sur mesure, et d'une richesse dont les seules limites sont celles de nos goûts et de notre imagination. Mais il y a un point technique important que toutes les plateformes citées plus haut ont intégré comme une valeur fondamentale de leur processus de création : le son doit être ultra-soigné. C'est sans négociations possibles. Un bruitage mal mixé, une voix dans le mauvais timbre, le mauvais tempo, et l'auditeur sort de son écoute. On ne veut pas ça, alors on produit avec soin.

(Hum, d'ailleurs, si je peux me permettre un conseil : avant de vous abonnez à toute nouvelle proposition audio-porn, prenez le temps d'écouter quelle qualité on vous propose - ça pourrait vous éviter quelques déconvenues.)

L'éroticaudio : des productions qui ont du chien. (Photo : Kyle Smith/Unsplash)L'éroticaudio : des productions qui ont du chien. (Photo : Kyle Smith/Unsplash)

Tubes : le mal des mots

Si les sites gratuits de porno sont si trashs, c'est notamment lié à leur usage des mots. On les trouve dans les pubs (qui mériteraient une newsletter à elles toutes seules), dans les titres (je vous casse pas l'ambiance avec des citations où il y aurait "beau-père", "double quelque chose", "teens" et une insulte visant une femme) ; également dans les catégories. Les titres se veulent descriptifs et sont censés donner envie de cliquer en annonçant la couleur de ce qu'on pourra visionner ; les catégories classent les vidéos selon le type de pratique, également selon le type (fantasmé) de femmes - sur les sites hétéros - qui peuvent être noires, asiatiques, indiennes, latinas, arabes, ou selon leurs particularités physiques (gros seins, rousses).

Ici, pas question de surprise, de corps mystérieux, de scénario qui ouvre sur une situation nouvelle, une pratique inconnue. Au contraire : tout est identifié, catégorisé, qui plus est, de la manière la plus sordide. Les mots assurent une fonction d'archivage efficace en réduisant toute pratique, tout corps, à leur fonction la plus élémentaire : devenir un vecteur vers une jouissance effective en quelques minutes (pour rappel, les Français passent autour de 9 minutes en moyenne lors d'une visite sur un site gratuit, la moyenne mondiale étant autour de 10 minutes). Quant aux performers, comme il n'y a plus guère de scénario, ils en sont réduits à braire le moment venu, éventuellement les mâles asséneront quelques insultes à leurs partenaires - fin de l'affaire.

Comme pour le théâtre, la télé ou le cinéma

A l'opposé, l'éroticaudio use des mots avec une précision d'orfèvre. Pour ceux, comme ctrlX, qui racontent des histoires, c'est tout un travail éditorial (sélection des textes) ou d'écriture qui est mis en branle (pardon) en amont. Je vous raconterai un jour comment on écrit de l'érotique pour l'audio, on pourra même se faire un petit atelier, si la plume vous démange (OK, j'arrête). Les comédiennes et les comédiens travaillent leur texte, leur diction, leurs intentions, comme ils le font quand ils montent sur une scène de théâtre ou sur un plateau pour la télé ou le cinéma.

Les sons les plus explicites, comme ceux de VOXXX, qui pour nombre d'entre eux sont des supports masturbatoires, ne tolèrent pas le manque de précision. Donner envie par les oreilles, c'est être en mesure de calibrer la portée des mots utilisés, c'est savoir comment les interpréter. Montez en excitation trop vite, et vous perdez votre auditeur, votre auditrice.

Jeune vintage en plein trip audio-érotique. (Photo : Eric Nopanen/Unsplash)Jeune vintage en plein trip audio-érotique. (Photo : Eric Nopanen/Unsplash)

Support masturbatoire ou histoire sensuelle, l'éroticaudio assure une fonction de représentation de pratiques et de plaisirs, de situations érotiques. Comme les films, me direz-vous ? Voui - mais un peu plus quand même. D'abord parce que, comme dit plus haut, c'est une sorte de service sur mesure qui permet à chacun de se créer ses propres images plutôt que de se retrouver face à des corps ou des ambiances qui ne nous parlent absolument pas. Les producteurs d'audio-porn ont aussi en tête - du moins pour ceux que je connais - d'aller au max du max vers la variété. Là où les films mainstream bastonnent de la fellation/pénétration/éjaculation, l'audio s'amuse, flirte avec une ambiance, titille notre curiosité par des sons évocateurs...

Pour finir, un conseil : la prochaine fois que vous prendrez le train ou le métro, ou que vous vous retrouverez en famille - chic, Noël ! - mettez-vous dans un coin, casque sur les oreilles, et écoutez un éroticaudio d'une des plateformes suscitées. Vous verrez : c'est à la fois torride, badass, et très amusant !

Et vous quels sons sensuels vous ont plu ? Quand aimez-vous les écouter ? Les partagez-vous ? Dites-moi tout !

Je vous embrasse.

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Crédits - Header : Mariola Grobelska/Unsplash.
Photo de profil : Hélène Muffarotto // La photo d'ampoules est de Jenn/Unsplash

C'est sextra

Par Stéphanie Estournet

Journaliste (ex-”Libération”), formée en sexothérapie, je suis particulièrement sensible à l’exercice des rapports de domination. Voilà pourquoi j’écris sur les sexualités, la représentation des corps, le rapport au “care” et les nouvelles technologies.

Je suis convaincue qu’informer (sur la pornographie, la sexualité, les genres, l’usage des écrans et de l’IA, les rapports bien-traitants au travail et dans les soins, etc.) nous permet d’aborder plus sereinement le monde complexe dans lequel nous vivons.

Fun facts sur ma personne :

  • en parallèle de mes études de sémiologie et lettres modernes, j’ai écrit des épisodes de Un gars, une fille, des questions pour Qui veut gagner des millions?, de fausses lettres pornographiques pour des magazines spécialisés ;

  • j’évite de sortir sans un vêtement ou un accessoire brillant (le glitter, c’est la vie) ;

  • j’ai écrit la première - et unique à ce jour - porno-comédie audio, Plus sexe la vie ;

  • j’ai tenu la rubrique mensuelle “Tour X” dans Le Journal du hard (Canal+) ;

  • je cours régulièrement, mais pas très vite.

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