C'est sextra

Le sexe, tout le monde en veut, mais personne ne veut s'y coller quand il faut y penser. Alors ? On en cause ?

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Par Stéphanie Estournet
30 mai · 3 mn à lire
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[Focus#1] J'ai vu le docu "Brainwashed...", et j'ai compris l'importance du regard au cinéma pour plus d'égalité

Chaque mois (ou presque), je vous propose de questionner notre rapport à notre corps, à notre libido, à notre vie intime, via un focus sur des ressources culturelles. Festival de Cannes oblige, on démarre avec un focus orienté métacinéphilie.

“Un [77e] festival sans polémique” : tel a été le vœu exprimé par Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, à l’ouverture de la cérémonie, le 14 mai. Pour autant, dans un contexte #metoo cinéma suite aux plaintes de Judith Godrèche contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon, et une prise de parole de nombreuses actrices dénonçant des violences sexuelles dans leur métier, le Festival a été le lieu des questions féministes, entre déclarations et dénonciations.

A l’occasion de ce premier Focus, un format au sein duquel je vous proposerai de questionner les thématiques du corps, de la sexualité et de la vie intime via des films, podcasts, articles, etc., j’ai vu le documentaire Brainwashed, le sexisme au cinéma (2024), de Nina Menkes : une déconstruction dense et documentée du regard masculin au cinéma et de son impact massif sur notre manière de nous percevoir dans le monde, de trouver notre place.

Un regard diagomâle

Exemples à l’appui, Brainwashed pénètre dans les rouages du male gaze. Le male gaze, c’est cette théorie développée en 1975 par la critique britannique Laura Mulvey qui dénonce une domination du regard des hommes hétérosexuels cisgenre.

Dit autrement, les hommes hétéros cis étant ultramajoritaires aux postes de réalisateurs, scénaristes, etc., le cinéma montre le monde au travers de leur vision. Regardons la capture d’écran ci-dessous extraite du film documentaire de Nina Menkes :

Capture d'écran, extrait de "Brainwashed, le sexisme au cinéma", de Nina Menkes.Capture d'écran, extrait de "Brainwashed, le sexisme au cinéma", de Nina Menkes.

On y voit une diagonale d’hommes (public initial auquel le film est adressé, réalisateur, directeur de photographie, premier rôle) qui sont sujets, c’est-à-dire dans un rôle actif. La femme, tout au bout de la chaîne, est, elle, objet de désir, dans un rôle passif. L’archétype de ce genre de films, ce sont bien sûr les productions hollywoodiennes des années 1940 aux années 1960 où la caméra d’un John Huston, d’un Howard Hawks, d’un Alfred Hitchcock fait des actrices des créatures, désirables avant tout.

Quand un genre n’est représenté qu’en tant qu’objet, il est évidemment soumis à celui (ou à celle - éventuellement) qui porte le regard. Un objet qui n’est pas regardé n’existe pas.

Qui plus est, le regard des réalisateurs fait loi. Populaires, leurs productions imposent des codes de beauté, de désirabilité : des femmes jeunes, performant la féminité (décolleté, talons, coquetterie ostensible, etc.) et affichant un caractère attendu (fragiles, manipulatrices, parfois futées mais quand même avec de drôles d’idées).

Evidemment militant, le documentaire de Nina Menkes est également un outil pédagogique qui nous amène à questionner notre propre regard.

Un tomboy, deux cow-boys, trois drag-queens

Entendons-nous bien : en dénonçant le male gaze il n’est pas question de “supprimer” le regard des réalisateurs hétéros cis - comme j’ai pu le lire à plusieurs reprises dans des commentaires rageurs. L’idée est d’aller vers une représentation plus égalitaire des points de vue. De sortir du tout-mâles. Femmes hétéros, personnes LGBT… Chacun.e devrait être légitime à exprimer son point de vue.

"Priscilla folle du désert" de Stephen Elliot. Photo DR "Priscilla folle du désert" de Stephen Elliot. Photo DR

Vous vous souvenez de Tomboy (2011), de Céline Sciamma, l’histoire de la petite Laure qui se sent mieux en “Mickaël” ? Ou encore du Secret de Brokeback Mountain (2005), de Ang Lee, qui mettait en scène l’amour de deux cow-boys ? De Priscilla folle du désert (1995), de Stephen Elliot où trois drag-queens faisaient face à l’aridité du centre de l’Australie et la bêtise violente de certains hommes ? Eh bien voilà : on est pile dans la contrepartie du male gaze. Des regards différents sur des réalités différentes. Alors oui, la différence, ça bouscule parfois, ça grattouille la réflexion. Et peut-être bien que c’est là que le bât blesse…

“Passe beauty”

Peut-être vous avez-vous déjà utilisé des filtres vous mettant à votre avantage sur les photos de vous postées sur les réseaux. Peut-être avez-vous constaté que telle actrice avait l’air bien jeune du haut de ses 70 ans. Avec l’omniprésence des ego-communications, du visuel et des technologies, se montrer jeune et beau/belle s’impose comme un devoir qu’on se devrait à soi autant qu’aux autres. Pour rester sur l’univers métacinéphile de cette newsletter, j’ai écouté un épisode du Code a changé, sur France Inter, une émission de Xavier de la Porte qui décrypte nos rapports au numérique. Le thème du jour : La “beauty” : le petit secret du cinéma.

Tom Cruise, 60 ans, dans "Dead Reckoning Part One" (2023).Tom Cruise, 60 ans, dans "Dead Reckoning Part One" (2023).

C’est là que j’ai appris que si Tom Cruise a l’air d’un quadra plutôt que du sexa qu’il est, c’est grâce au traitement d’images en mode lifting appliqué à son visage. Mais Tom Cruise reste un cas à part. Car l’application de ce “passe beauty” - ainsi qu’on nomme cette technique en postproduction destinée à “embellir” les visages - reste majoritairement un outil à destination des actrices. Ben oui, pour les hommes, en général, on s’en fout. Mais pour les femmes, faudrait pas avoir des tâches sur la peau // des cernes // des rides // la peau terne, etc. Et puis surtout : faudrait pas vieillir.

Aujourd’hui, le visage des comédiennes est retravaillé dans plus d’un tiers des productions cinématographiques, selon Xavier de la Porte. Ceci de manière contractuelle : en amont du tournage, on prévoit que tel et tel “défauts” seront gommés en post-prod - l’objectif premier étant le rajeunissement.

Difficile d’en vouloir à ces actrices dans un univers jeuniste pas encore sorti du fameux tunnel de la femme de 50 ans dénoncé par l’AFAA en 2016. Et si ce n’était que dans les hautes sphères du cinéma… Les filtres sur les réseaux popularisent une exigence qui n’a plus rien à voir avec une "belle photo” mais plutôt avec une représentation de soi acceptable - “acceptable”, ça veut dire que t’as coché un max des éléments ci-dessous :

  • un teint lisse et clair ;

  • de grands yeux ;

  • des cheveux longs ;

  • des lèvres charnues ;

  • un long cou.

Et, bien sûr, pas question d’avoir plus de 22 ans.

Fun fact, dans les productions pour adultes japonaises, les performeuses utilisent très fréquemment des filtres pour lisser leur visage et se rajeunir (quelqu’un pourrait leur dire que ce n’est pas exactement leur tête qu’on regarde ?)

Happy birthday, Erika !

Sans transition, on continue de regarder des femmes se déshabiller devant la caméra, mais cette fois sans filtre, et dans la joie et la bonne humeur. En juin, Erika Lust Films (ELF) fêtera ses 20 ans. Cinéaste, scénariste et productrice, Erika Lust, à l’origine de ELF, est la Suédoise qui a révolutionné le monde du p*rn* depuis sa ville d’adoption, Barcelone. Ses productions mettent en scène le plaisir féminin avec des images de belle qualité, des scénarios travaillés, et même des pratiques saines sur les plateaux… Et avec son équipe de meufs, (bon, également de son mari, Pablo Dobner, son associé), Erika Lust encourage un female gaze pour une vision de l’intime au féminin. Comme quoi, c’est possible !

Erika Lust, en 2012. Photo DRErika Lust, en 2012. Photo DR

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Photo de profil : Hélène Muffarotto // La photo d'ampoules est de Jenn/Unsplash