C'est sextra

Le sexe, tout le monde en veut, mais personne ne veut s'y coller quand il faut y penser. Alors ? On en cause ?

image_author_Stéphanie_Estournet
Par Stéphanie Estournet
29 sept. · 4 mn à lire
Partager cet article :

Rapport HCE : qui a peur du Grand Méchant X ?

Le récent rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les hommes et les femmes (HCE) contre les films explicites questionne. Pas tant sur son contenu que sur ses intentions.

Le Haut Conseil à l’Egalité entre les hommes et les femmes (HCE) a sorti, mercredi, un rapport intitulé Pornographie, mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique : quelque 248 pages, biblio et glossaire compris, qui réalisent l’exploit d’être à charge de A à Z. Deux-cent-quarante-huit pages, c’est long ! Et il faut être sacrément remonté pour pouvoir déployer un propos contre les films explicites avec autant de verve. Voyons comment et pourquoi une telle prise de position.

A l’origine de ce rapport, l’inacceptable

Ce rapport naît sur un terrain propice à des prises de positions radicales. Il ne vous aura par exemple pas échappé que quiconque veut aujourd’hui regarder des films explicites peut le faire en un clic. Équipés de smartphones, des mômes de 8 ans, des ados en pagaille, découvrent des formes de sexualité essentiellement hétéro sur des plateformes gratuites. Par ailleurs, ce qu’ils voient ne reflètent nullement des sexualités réalistes. Il s’agit en général de scènes stéréotypées, de corps stéréotypés via un point de vue stéréotypé. Ceci n’est pas acceptable.

Des productions de mauvaise qualité. Le porno tel qu’il existait avant l’ère des tubes - soit des films avec des budgets, des scénarios même sommaires, des personnes devant et derrière la caméra - a été bradé pour devenir massivement des tranches d’images pornographiques tournées dans des hôtels moisis, des hangars abandonnés, des parkings. (Dans cette dernière phrase, il est intéressant de garder en tête l’adverbe “massivement”, on y reviendra.) Ceci n’est pas acceptable.

Représentation des femmes et de la sexualité. Sur les tubes, les usages sémantiques sont dégradants pour les femmes - forcément des salopes qui en veulent toujours plus, des teens “chaudasses”, etc. La sexualité en soi y est un lieu de perversion, de dégradation, un rapport de pouvoirs. Ceci n’est pas acceptable.

Délinquance et crime. L’affaire French Bukkake a mis en lumière les mauvais traitements subis par des femmes dans le cadre de tournages pornographiques : manipulation, viols, mauvais traitements, tortures… Ceci n’est pas acceptable.

Pédocriminalité. Last but not least, on dénombre des dizaines de milliers de vidéos mettant en scène des enfants. Ceci n’est pas acceptable.

Chacun de ces faits est avéré, et le rapport contre la pornographie du HCE nous le démontre de manière minutieuse. Je dénonce moi aussi chacun des points ci-dessus. Alors pourquoi ai-je signé la tribune dénonçant ce rapport ? Pourquoi est-ce que je m’associe aux travailleurs et travailleuses du sexe qui revendiquent le droit à exercer leur activité ? Il y aurait de quoi faire un livre sur le sujet (bon, OK, une telle perspective n’est pas exclue :-). Mais pour l’instant, disons ceci…

Y aurait pas un petit problème méthodologique, là ?

En tant que journaliste, j’ai appris que pour aborder un sujet, il fallait partir d’un terrain neutre. Confronter les points de vue. Ne rien prendre pour acquis. Dézinguer a priori et certitudes. Le rapport anti-porno du HCE fait exactement le contraire.

Alors qu’on pourrait attendre du travail d’une commission étatique d’établir des faits avant d’amener des préconisations, on a ici, d’emblée - dès la couverture - une prise de position : “Mettons fin à…” Autrement dit, les pages qui suivent ne feront pas dans la nuance mais viendront alimenter une position idéologique.

Le terme d’”impunité” en titre est de fait partisan. “Enquête sur l’industrie pornographique et préconisations” aurait été une façon plus neutre d’aborder le sujet. Mais ce n’est vraisemblablement pas l’intention. Il s’agit ici, d’emblée, de condamner.

Tout va ensuite dans le sens d’un dégommage systématique de la pornographie et de son industrie. D’ailleurs, si le rapport s’en prend à la seconde, c’est - soyons clair - pour abattre la première. Mais restons sur la méthodologie du rapport.

Les personnes interrogées tout comme les ouvrages cités sont notoirement connus pour être abolitionnistes (anti-porno). Les performeurs et performeuses qui sont directement visées ici n’ont pas eu le droit à la parole - à part Carmina, réalisatrice, performeuse et rédactrice en chef du magazine pour adultes Le Tag parfait, qui probablement se serait bien passée de la retranscription clairement détournée de ses propos. Alors qu’elle évoque des films mettant en scène des kinks (soit des pratiques qui sortent de l’ordinaire), on nous explique que le terme de “kink” “dissimule une longue liste de pratiques dégradantes et humiliantes”. Ouah ! Qui sont ces personnes qui se permettent de juger les pratiques de tiers ? Dans cinq minutes on va nous dire que l’homosexualité est une perversion. Ou que ne pas éteindre la lumière pendant l’acte est une pratique dégradante. Dès lors qu’il y a consentement de toutes les parties, tous les jeux sont permis. C’est comme les brocolis : ce n’est pas parce que vous n’aimez pas ça qu’il faut les enlever du menu. Bon sang.

Que se passerait-il si faire du X devenait illégal ?

Est-ce que quelqu’un s’est demandé ce que sous-tendrait l’interdiction effective du porno ? Si on se réfère à la réalité vécue par les prostitué.e.s depuis la pénalisation des clients, le pire est à craindre (le Sénat soi-même n’est pas convaincu par la pénalisation des clients). Illégal, le porno serait alors produit sans qu’aucun contrat ou contrôle puisse l’encadrer. Les performeurs et performeuses devraient pour certain.e.s changer d’activité ; ceux et celles qui continueraient seraient seul.e.s et sans moyens légaux, en cas de problème, de se retourner contre ceux et celles qui leur proposeraient une activité. Et il y a peu de chance que leurs conditions de travail s’amélioreraient.

En gros, “tu veux faire du cul, viens pas te plaindre”. Une position idéologique qui ne prend pas en compte des réalités plurielles. De nombreuses femmes ont grâce à la pornographie pris possession de leur corps, elles sont devenues plus fortes, elles sont sorties de schémas qui ne leur convenaient pas pour vivre leurs désirs, leur plaisir.

Dans Jouir est un sport de combat, Olympe de Gê raconte son parcours de pornographe et comment elle est devenue la femme indépendante et forte qu’elle est aujourd’hui en se lançant dans la réalisation de films X. On en a parlé des heures pour écrire ce livre, et c’est un sujet qui revient encore et encore chez des femmes de ce milieu qui se battent pour que leurs films soient produits avec respect et éthique et qu’ils ne finissent pas sur les tubes (soyons clairs : ils finissent toujours sur les tubes, ce qui est moches parce qu’on ne leur a pas demandé leur avis et que, bien sûr, elles ne touchent pas un kopeck).

Bon à savoir : ça fait des années que des performeurs, performeuses, producteurices, réalisateurices, etc., demandent des moyens pour lutter contre la criminalité et la maltraitance dans le porno, une législation claire, une interdiction des tubes, des mesures sérieuses pour que les plus jeunes n’aient accès à aucun contenu pour adultes.

Alors, quelles solutions ?

On pourrait commencer par faire la part des choses : déployer une lutte contre la pornocriminalité ; contre les sites gratuits.

Il semble également urgent d’écouter les personnes concernées - et d’arrêter de traiter systématiquement les performeuses comme des victimes (en mode café du commerce : “Pauv’ lapin, tu ne te rends pas compte, tu as dû vivre des trucs vraiment durs”, etc.). Pour Pornographie : l’Enfer du décors - qui n’est pas une série b mais un autre rapport sénatorial de 2022, des performeuses avaient été entendues par la commission emmenée par la rapporteure en chef, Laurence Rossignol (PS). Leurs arguments avaient été balayés au motif que le porno éthique ne représentait économiquement rien face au Grand Méchant X. En tant qu’expertes directement concernées, elles pourraient au contraire être force de proposition, notamment pour un point de départ à un encadrement législatif satisfaisant.

Personnellement, je suis également très convaincue de l’importance de l’éducation et de l’encadrement des plus jeunes - mais aussi des adultes. Répondre à leurs questions, les amener à comprendre que ce qu’on voit sur les tubes n’est pas la vraie vie ; que le respect et le consentement sont non discutables pour eux.elles comme pour leurs partenaires ; qu’il y a autant de manières de faire que de rencontres ; que l’hétérosexualité n’est pas tout - bref, donner des clés pour que chacun et chacune soit en mesure de déconstruire le porno trash est essentiel.

“Qu’on leur coupe la tête !”

Le ton du rapport m’a rappelé une phrase d’un personnage d’Alice au Pays des merveilles, cité par Sébastien Japrisot en exergue de L’Eté meurtrier : “Je serai le juge et je serai le jury, j’instruirai seul toute l’affaire et je vous condamnerai à mort.”

Des solutions existent ou pourraient être mises en place pour lutter contre le Grand Méchant X. Mais il est urgent que les décideurs et les décideuses cessent de vouloir jouer les pères et mères fouettard.e.s et d’imposer leur vision de ce que nous pouvons ou pas faire de notre corps et de notre sexualité.

Merci pour votre lecture.

Si vous avez apprécié cette newsletter, n’hésitez pas à la partager et/ou à réagir sur les réseaux.
Linkedin // Twitter // Instagram
Crédits photo
Header : DR / Shutterstock
X :  Tolgahan Akbulut/Unsplash. Craies : Alexander Grey/Unsplash. Wonderland : Nicole Baster/Unsplash
Photo de profil : Hélène Muffarotto // La photo d'ampoules est de Jenn/Unsplash