C'est sextra

Le sexe, tout le monde en veut, mais personne ne veut s'y coller quand il faut y penser. Alors ? On en cause ?

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Par Stéphanie Estournet
25 août · 3 mn à lire
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Pourquoi il est important de réfléchir à notre relation aux soignants

Le rapport patient/médecin est peu interrogé. Pourtant, on y gagnerait, d'une part comme de l'autre, à réviser notre rôle dans un lien plus égalitaire pour mieux faire face à la maladie.

Mardi 22 août, 15h20, centre d’imagerie médicale de R. Torse nu, face à la machine, je réponds aux questions sur mes antécédents médicaux avant la mammographie. La jeune femme est hésitante. Survient une femme plus âgée, qui, ni bonjour ni rien à mon adresse, prend sa collègue stagiaire en main : “Tu fais comme ci, tu fais comme ça, etc.” Elle pose ses mains sur mon dos, sur mes seins, toujours sans un mot pour moi - je pourrais aussi bien être un tas de pâte à modeler. A la stagiaire : “Tu insistes sur la patiente, il faut qu’elle soit bien en place.” Pose son pouce sur mon menton, me fait relever la tête d’un geste brusque. “Il vaut mieux qu’elle soit bien en place sinon il faudra recommencer.” OK, bitch, j’ai pas dû cocher l’option bienveillance et douceur…

La vulnérabilité durant la mammographie

Pour celles et ceux qui n’ont jamais eu à faire une mammographie, il s’agit d’un examen au cours duquel les seins sont comprimés (mais vraiment…) entre deux plaquettes de plexiglas pour être radiographiés dans le cadre du dépistage du cancer. Autrement dit, on y est dans une situation particulièrement vulnérable puisque…

  • on est à moitié nue ;

  • les seins peuvent faire partie de nos zones érogènes - plus intimes, donc, que s’il s’agissait de notre nez ;

  • on peut vous annoncer une très mauvaise nouvelle à l’issu de l’examen.

Pour la manipulatrice et sa stagiaire, je suis pourtant un de ces objets qui doit “fitter” dans la procédure. L’épisode est tellement violent que je songe à les planter là, à me casser, à demander à parler avec une personne responsable - mais je vois d’ici l’incompréhension et l’escalade de rage dans laquelle je risque de me retrouver.

L’examen achevé, on me demande de m’allonger sur une table d’examen, toujours torse nu, la porte s’ouvrant et se fermant sur une photocopieuse, une machine à café et, plus loin, la salle d’attente. J’attends. Vingt minutes. Quiconque passant par là peut me voir, les seins à l’air. Mais bon, oui, c’est comme ça. Le soin a ses impératifs, on va pas commencer à faire des chichis avec nos histoires de pudeur.

Une relation de pouvoir

Justement, là est le problème. Tout se passe comme si, en parallèle du soin considéré comme “sérieux”, il n’y avait pas de place pour l’empathie ou la bienveillance.

En France, le lien entre le soignant et le patient est une relation de pouvoir du premier exercé sur le second qui va de soi. On nous dit comment faire ; nous faisons (nous avons appris depuis petits à nous soumettre à ce pouvoir au motif qu’il est bon pour nous). Ainsi, on n’imagine pas un instant dire à un médecin gynécologue qu’on ne souhaite pas être auscultée (quand l’examen clinique ne devrait pas être systématique et n’a pas de caractère obligatoire). Ce n’est pas qu’une affaire de femme : qui ne s’est pas senti comme un petit enfant pris en faute devant un médecin au motif qu’on était trop gros, pas assez sportif, qu’on ne mangeait pas “correctement”, etc. ?

La longue liste des brutalités vécues par les patients

Ce sujet du rapport au soin, de la place qu’on y tient, j’y ai été sensibilisée par l’écrivain et médecin Martin Winckler avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger longuement dans le cadre de la rédaction d’un ouvrage (je vous en reparlerai). Parmi ses prises de parole, Winckler dénonce ces médecins qui trahissent l’idéal qu’ils sont censés incarner, […] font du mal non seulement aux patients, mais aux soignants authentiques”, notamment parce qu’ils brutalisent leurs patients physiquement et psychologiquement en (liste non exhaustive) :
 se moquant de, ou répondant par le mépris à leurs requêtes ou à leurs plaintes ;
 leur posant des questions intrusives, indiscrètes ou déplacées ;
 les stigmatisant sur leurs habitudes ou leur état (les fumeurs, les personnes obèses, entre autres, font souvent les frais de ce type d’attitude) ;
 les culpabilisant pour « n’avoir pas consulté plus tôt », ou « avoir eu un comportement à risque » ou « n’avoir pas pris leurs médicaments » ou « n’avoir pas fait leur régime/leur radiographie/leur bilan sanguin » ;
 leur imposant un examen clinique humiliant ou douloureux sans égards et souvent sans nécessité ;
 refusant de répondre à des questions concernant le diagnostic, le pronostic, le traitement, le suivi, etc.”

Winckler dit aussi - et c’est important - que “les soignants authentiques” sont nombreux. [1]

Mais par-delà la posture de sachant souvent adoptée par les médecins en France (ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons, explique Winckler), il est nécessaire de questionner notre position de patient. Car si nous avons une marge de manœuvre dans ce rapport, c’est bien en prenant possession, dans la mesure du possible, de notre condition.

Comment rétablir un rapport d’égalité ?

La réponse à cette question est simple - au moins sur le papier : on n’attend pas de bouillir ou de se sentir humilié ; on dit “ceci ne me convient pas”. Une amie me racontait qu’elle déteste quand son médecin traitant “se réfugie derrière son ordinateur” alors qu’elle lui déballe des éléments douloureux. Elle pourrait lui dire : “S’il vous plaît, je ne me sens pas à l’aise quand il y a cette machine entre nous. Pourrait-on prendre un moment sans ?”

Je vous l’accorde, c’est plus facile à dire qu’à faire. Il y a le poids de l’autorité de la blouse blanche, notre propre besoin de tout poser, de se livrer aux mains du “magicien” qui va nous sauver ; il y a les sentiments mélangés d’avoir mal fait, la peur de la maladie, de la mort.

Après avoir échangé avec Martin Winckler il y a quelques mois, j’ai réfléchis à ma propre position de patiente. Je serai probablement amenée à consulter de plus en plus de médecins en avançant en âge. Alors j’essaie de prendre ma part, de ne pas faire le mollusque face à l’autorité, de ne plus consulter les médecins qui officient en mode boss - de dire “ceci ne me convient pas”.

A force, on y arrive.

Face aux deux manipulatrices qui m’ont tordu les seins sans égard, j’ai d’ailleurs réussi à placer qu’un mot gentil assurait le bien-être et donc un meilleur rapport entre soignante et soignée - aka l’option bienveillance et douceur…

Pour finir, comme elle quittait la pièce, la stagiaire m’a envoyé un sourire qui ne semblait même pas forcé.

[1] Les citations sont extraites du site de Martin Winckler, qui non content d’écrire d’excellentes fictions, transmet sur les bonnes pratiques (pour les patients en général, les femmes en particulier).

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Crédits photo
Header : Alexander Grey / Unsplash
Article : Daniele D'Andreti, National Cancer Institute, Victoria Strukovskaya / Unsplash
Photo de profil : Hélène Muffarotto // La photo d'ampoules est de Jenn/Unsplash